« Indépendance, liberté, capacité à faire prévaloir nos valeurs, voilà pourquoi nous devons chaque jour, assurer la permanence de la dissuasion nucléaire et être capables, à chaque instant, d’en améliorer encore l’organisation, le fonctionnement et les armes ». Voilà la phrase par laquelle Hollande a conclu le 19 février dernier, sur la base aéronavale d’Istres, son long discours définissant l’orientation de sa politique nucléaire militaire (texte intégral en lien sur le site de l’Elysée). Un hymne à l’arme nucléaire, comme tout son texte ! On comprend qu’il ne se soit envolé pour Hiroshima !
Partant d’une telle profession de foi, il est logique qu’il renvoie l’objectif du désarmement nucléaire aux calendes grecques et le réduise à un vœu pieux : « Je partage donc l’objectif, à terme, de l’élimination totale des armes nucléaires, mais j’ajoute : quand le contexte stratégique le permettra ». Ou encore : « La France doit être lucide. Elle sait qu’il ne suffit pas de proclamer le désarmement nucléaire immédiat et total, il faut que la réalité des actes de chacun soit cohérente avec les discours ». Tout est dit et répété plusieurs fois. Le quinquennat Hollande sera le premier où la France de diminuera pas, même simplement quantitativement, son arsenal nucléaire, ni son budget dédié à l’arme atomique, « sanctuarisé », à hauteur officiellement de 3,5 milliards d’euros par an.
La doctrine énoncée par Hollande donne tout leur (mauvais) sens aux efforts de la diplomatie française pour faire appliquer le Traité de non-prolifération (TNP). Il ne s’agit agir dans le sens général d’un abandon de l’arme atomique mais d’intervenir pour que de nouvelles puissances ne concurrencent pas les puissances impérialistes occidentales et leurs alliés. La politique française d’hostilité aux velléités supposées du régime iranien de se doter de la Bombe est directement subordonnée au souci de garantir la suprématie de l’impérialisme israélien dans ce domaine.
En termes d’idéologie, si l’on voulait vraiment encourager la non-prolifération, soulever les opinions publiques, légitimer le TNP, il faudrait s’y prendre à l’inverse d’Hollande qui affirme encore : « La Force de dissuasion, c’est ce qui nous permet d’avoir la capacité de vivre libres et de pouvoir, partout dans le monde, porter notre message, sans rien craindre, sans rien redouter, parce que nous sommes sûrs de la capacité que nous avons à nous défendre ». Avec un tel discours, il y a vraiment de quoi dissuader une nation qui voudrait se doter de l’arme nucléaire d’y renoncer ! Beaucoup peuvent légitimement ne pas se sentir moralement inférieures à l’impérialisme français, avec ses interventions françaises en Libye ou en Afrique, et voudraient desserrer la domination des grandes puissances… La tentation nucléaire est encore accrue quand Hollande proclame, de façon très contestable, que « la dissuasion stimule nos efforts de recherche et de développement et contribue à l’excellence et à la compétitivité de notre industrie ». Tout est décidément bon dans la « dissuasion » nucléaire !
La même logique présidentielle – est-ce du cynisme ou du pragmatisme ? – se retrouve chez Hollande à propos de l’application du Traité d’interdiction des essais nucléaires. Son entrée en vigueur est sa « première priorité », puisque « la France a fait la démonstration que la renonciation complète, irréversible aux essais nucléaires était compatible avec le maintien d’une dissuasion crédible ». Entre 1995 et 1997, sous Chirac – on s’en souvient -, l’industrie nucléaire militaire française a eu encore besoin de quelques essais grandeur nature à Mururoa pour adapter ses simulateurs. Maintenant que c’est fait pour l’armée française, comme pour les Etats-Unis, empêchons les autres de passer cette étape…
Par rapport justement à Chirac ou même à Sarkozy, le discours de Hollande, inauguré dès son élection par sa première visite officielle en juillet 2012 à un sous-marin nucléaire à Brest, exprime une inflexion. Jusque-là, la dissuasion était un mal et une dépense nécessaires pour se défendre. Aujourd’hui pour Hollande, elle est associé la liberté, à la « garantie que les engagements internationaux de la France seront toujours honorés, même si l’emploi de l’arme nucléaire n’est concevable que dans des circonstances extrêmes de légitime défense. »
La ligne qui prévalait sous Chirac et Sarkozy était évidemment hypocrite. Mais la libération de la parole présidentielle, avec Hollande, représente une nouvelle étape extrêmement inquiétante. La menace se précise, au-delà du rappel des grands principes, de la fable, de la dissuasion, de la mise au point d’armes atomiques françaises opérationnelles dans des conflits « limités » (c’est l’objectif avoué des essais en laboratoire de produire des bombes adaptées à cet échelle d’objectif).
Décryptons à nouveau le discours du Président : « C’est la responsabilité suprême du Président de la République d’apprécier en permanence la nature de nos intérêts vitaux et les atteintes qui pourraient y être portées.
L’intégrité de notre territoire, la sauvegarde de notre population constituent le cœur de nos intérêts vitaux. Quels que soient les moyens employés par l’adversaire étatique nous devons préserver la capacité de notre nation à vivre. Tel est le sens de la dissuasion nucléaire.
Néanmoins, je ne peux exclure qu’un adversaire se méprenne sur la délimitation de nos intérêts vitaux. C’est pourquoi je veux rappeler ici, que la France peut, en dernier ressort, marquer sa volonté à défendre nos intérêts vitaux par un avertissement de nature nucléaire ayant pour objectif le rétablissement de la dissuasion. »
Les deux dernières phrases, soulignés par nous, sont les plus explicites et effrayantes : « par un avertissement de nature nucléaire » a-t-il dit.
Quant à l’appréciation présidentielle unilatérale, suivant l’idéologie dominante, « de nos intérêts vitaux », elle coïncide – ce n’est pas une surprise – avec ceux de l’Union européenne du capital et de l’OTAN. Hollande ne pouvait pas être plus clair : « La définition de nos intérêts vitaux ne saurait être limitée à la seule échelle nationale, parce que la France ne conçoit pas sa stratégie de défense de manière isolée, même dans le domaine nucléaire. Nous avons affirmé à de nombreuses reprises, avec le Royaume Uni, avec lequel nous avons une coopération sans équivalent, cette conception. Nous participons au projet européen, nous avons construit avec nos partenaires une communauté de destin, l’existence d’une dissuasion nucléaire française apporte une contribution forte et essentielle à l’Europe. La France a en plus, avec ses partenaires européens, une solidarité de fait et de cœur. Qui pourrait donc croire qu’une agression, qui mettrait en cause la survie de l’Europe, n’aurait aucune conséquence ?
C’est pourquoi notre dissuasion va de pair avec le renforcement constant de l’Europe de la Défense. »
Puis ensuite : « Je veux également préciser notre relation avec l’Alliance Atlantique. L’Alliance Atlantique a une vocation nucléaire et les forces stratégiques indépendantes, comme la France et le Royaume-Uni en disposent, ont un rôle spécifique à jouer et contribuent à la dissuasion globale.
Ce constat, fait par tous, n’implique pas de changement de posture de notre pays. La France ne participe pas aux mécanismes de planification nucléaire de l’OTAN et la France ne participera pas à ces mécanismes. Ce principe demeurera. En revanche, la France souhaite contribuer à la définition de la politique nucléaire de l’Alliance. A cet égard, tous les pays membres de l’OTAN doivent faire preuve de constance et de détermination dans cet engagement. »
Sur ce dernier point, il n’y a rien de nouveau dans l’aveu, déjà fait depuis longtemps, que la soi-disant « indépendance nationale » de la France, avec la dissuasion nucléaire, n’est rien d’autre que le prélèvement sur la richesse produite par les travailleurs français pour la défense conjuguée des intérêts impérialistes américains et européens.
Aujourd’hui des armes nucléaires de dissuasion dirigées contre qui ?
Hollande doit admettre que, pour l’instant, « la France n’a pas d’ennemi déclaré ».
Mais… il dénonce quand même la Syrie de Bachar El-Assad qui « a brisé un tabou fondamental de notre système de sécurité collective » en utilisant prétendument des armes chimiques et contre lequel « il a fallu recourir à la menace ». Grâce à Bachar et au tabou qu’il aurait levé, il serait ainsi plus aisé de faire accepter l’utilisation d’armes de destruction massive ? Horreur !
Hollande évoque aussi Daesh et « l’attaque informatique contre Sony », qu’il semble difficilement envisageable de combattre avec des bombes nucléaires… Mais pour Hollande, « des surprises, voire des ruptures sont possibles ». Surtout qu’auparavant, il a mentionné la crise ukrainienne… On devine quelle « agression d’origine étatique » pourrait être imaginée, comme au temps de la guerre froide mais avec un rapport de force bien différent.
Communistes, progressistes, nous avons toutes les raisons d’être inquiets et de ne pas sous-estimer l’importance de la lutte, EN FRANCE, pour le désarmement nucléaire.
Bien sûr, nous savons que les propos de Hollande suivent aussi les intérêts et la propagande du lobby militaro-industriel du nucléaire. Mais cela n’en diminue pas pour autant le danger des bombes atomiques. Pour nous, commémorer les crimes impérialistes d’Hiroshima et Nagasaki ne relève pas du rituel de convenance !
Bien sûr, nous savons que le lobby militaro-industriel conventionnel peut également contester, de façon tout aussi intéressée, les dépenses dirigées vers le nucléaire et défendre hypocritement un désarmement nucléaire (comme des socialistes comme Rocard et Quilès peuvent en être les porte-parole). Certains avocats de l’impérialisme français estiment aussi bien plus efficaces pour les intérêts qu’ils défendent de promouvoir une autre militarisation. Mais pour nous, combattre l’une n’empêche pas de combattre l’autre manifestation militariste de l’impérialisme.
Communistes, la situation menaçante appelle que nous reprenions le flambeau pacifiste de nos camarades qui, comme Frédéric Joliot-Curie, en connaissance de cause, initièrent et firent signer à des millions de travailleurs l’Appel de Stockholm pour l’abolition de l’arme nucléaire.
Peu importe pour nous (c’est très disproportionné le de mentionner) qu’un politicien comme Mélenchon, lié à Dassault, affiche un chauvinisme révulsant et vante une conception trompeuse de l’indépendance nationale par la dissuasion nucléaire.
Communistes, finissons aussi de solder les erreurs et même reniements décidés au nom du Programme commun dans les années 70, dont le rapport Kanapa de 1977, qui convertit le PCF à l’acceptation de l’arme nucléaire française, présentée illusoirement comme potentiellement nationale. Si le PCF en est petit à petit revenu, il importe d’être beaucoup plus clair. Interrogé en 2012 sur la proposition de Rocard de supprimer l’arme nucléaire française, Pierre Laurent n’est pas allé plus loin que d’estimer « que sa proposition méritait vraiment réflexion et que la France pourrait prendre l’initiative pour relancer le désarmement nucléaire ». Avec Hollande ?
Communistes, sur cette question vitale, nous pouvons avoir des propositions de lutte graduées et claires et mobilisatrices :
Pour une définition des intérêts vitaux du pays englobant exclusivement la défense de son intégrité territoriale et la sauvegarde de sa population.
Pour une sortie de la France du commandement intégré de l’OTAN, de l’OTAN et de toute organisation de l’Europe de la défense.
Pour le retour en France de tous les soldats français engagés sur des théâtres extéieurs.
Pour l’arrêt des essais nucléaires en laboratoire et leur classement dans les recherches prohibées par le Traité d’interdiction des essais nucléaires.
Pour la mise en accusation du budget totalement stérile consacré à l’arme nucléaire (3,5 milliards par an officiellement), en rapport avec les nécessaires dépenses publiques et sociales.
Pour une conversion vers le civil et d’autres technologies du secteur militaro-nucléaire français.
Pour un désarmement nucléaire total et unilatéral de la France.
Pour dans le monde, « l’interdiction absolue de l’arme atomique, arme d’épouvante et d’extermination massive des populations » comme y exhortait l’Appel de Stockholm.