Parti Communiste Français Section de Saint-Martin d’Hères
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Entretien avec Jeronimo de Sousa, secrétaire-général du PC Portugais :

février 2012, par Saint Martin d’Hères

Traduction AC (extraits) pour http://solidarite-internationale-pc...

En 2012 entreront en vigueur les mesures inscrites dans le Mémorandum signé par la troïka nationale (PS/PSD/CDS) avec la troïka étrangère (FMI/UE/BCE), que le PCP a désigné dès le départ comme un pacte d’agression. Quelles conséquences peut-on attendre de l’approfondissement de la politique menée ?

Ces mesures, une fois effectives, se traduiront par plus de récession, d’endettement, de chômage et d’injustices. Contrairement à ce que le Gouvernement affirme et annonce, le Pays sera dans une situation pire en 2012 et encore pire en 2013, si on va au bout de la période couverte par le pacte d’agression. Voilà pourquoi nous estimons que la mise en échec de ce pacte constitue un impératif national.

Le gouvernement justifie toutes ces mesures par la nécessité de réduire le déficit et de payer la dette. Dans le cas spécifique des lois sur le travail, quel rapport avec la dette et le déficit ?

Cela n’a rien à voir avec le déficit ni avec la dette, et encore moins avec les problèmes de compétitivité et de productivité de l’économie nationale, qui passent moins par le facteur que par le facteur capital.

Ces modifications proposées sur la législation du travail, également prévues dans le pacte d’agression, révèlent crûment la nature de classe de ce Gouvernement et son objectif qui est d’intensifier l’exploitation des travailleurs.

La proposition d’augmenter le nombre d’heures de travail (une demi-heure par jour), tout en étant la plus injuste, ne peut pas être dissocié d’autres qui sont sur la table et qui visent à rendre moins onéreux et plus aisés les licenciements, à s’attaquer aux jours chômés, aux congés, et aux heures supplémentaires et des tentatives de réduire voire de supprimer la négociation collective.

De façon très synthétique, nous pouvons dire que le gouvernement veut faire travailler les travailleurs plus tout en gagnant moins et en ayant moins de droits.

Sur l’augmentation des heures de travail, j’attire votre attention sur le fait que le Gouvernement a commencé à hésiter et les confédérations patronales ont fait le bilan. Ils envisagent déjà de laisser tomber la demi-heure en plus et tentent d’atteindre les mêmes objectifs par d’autres moyens, notamment en étendant le travail non-payé.

Sans s’endormir sur nos lauriers, si le recul ne venait à se confirmer, nous pouvons affirmer que ce recul est issu de la lutte, en particulier de la grève générale. Le patronat a compris qu’il allait devoir mener la guerre dans les entreprises et sur les lieux de travail, qu’elle durerait des mois et des années, jusqu’au retour à l’ancien système horaire sans perte de salaire.

La lutte doit continuer ! La manifestation convoquée par la CGTP-IN du 11 février, à Terreiro do Paço, prend une importance extraordinaire, car en dépit des périls qui pèsent sur nous, il est toujours possible de remporter des victoires. Parfois, résister est déjà une victoire.

Il y a ici une contradiction sur laquelle il serait bon de réfléchir. Les économistes et les conseillers du Gouvernement savent que ces mesures ont un caractère récessif, et pourtant ils les adoptent. Comment se justifient cet entêtement dans ces solutions ?

Cela se justifie par la nature de classe de cette politique.

La droite et le capital n’ont jamais accepté la concession de parcelles de leur pouvoir, les droits gagnés par les travailleurs, et il considère que le moment est venu pour en finir avec la révolution d’Avril, avec toutes les transformations et tous les acquis, et ils ont déclenché cette offensive.

A strictement parler, il ne s’agit pas d’une simple offensive, car, si nous nous rafraîchissons un peu la mémoire, nous constatons que, durant ces trente dernières années, il y a toujours eu une offensive, des réformes successives avec le même discours sur la compétitivité et la productivité, la flexibilisation. Ce sont les mêmes vieilles propositions depuis plus de trente ans.

Rester ou sortir de l’euro ? Il faut faire le bilan de tout ce que le Portugal a perdu avec la monnaie unique.

Le PCP fut contre l’adhésion du Portugal à la monnaie unique, mais aujourd’hui de nombreux économistes, et pas eux uniquement, reconnaissent les conséquences négatives de l’adhésion et certains vont même jusqu’à défendre la sortie du Portugal de l’euro.

La sortie de l’euro, et même de l’Union européenne, est-elle une hypothèse à prendre en compte ?

En premier lieu, l’expérience a confirmé non seulement notre critique tout comme nos mises en garde et notre analyse par rapport aux conséquences de l’adhésion du pays à la monnaie unique et à l’intégration européenne.

Quant à notre sortie ou à notre maintien, le positionnement du parti sur cette question découle des décisions de congrès et notre prochain Congrès, le XIXème, analysera certainement la question et prendra les décisions qui s’imposent.

La crise du capitalisme et de l’Union européenne, les conséquences pour notre pays de ce processus d’intégration, le niveau de destruction de notre appareil productif, le contenu des traités successifs et les décisions du directoire des grandes puissances allant dans le sens de l’ingérence, de l’aliénation de notre souveraineté, sont des processus encore inachevés.

Ce sont bien des questions qui nécessitent une réflexion approfondie. Plus qu’une réponse laconique à une question synthétique, telle qu’elle fut formulée, il nous faut bien peser toutes les conséquences.

Tous ces traités et ces décisions dont tu as parlé, ont causé du tort à des pays comme le Portugal au bénéfice des grandes puissances...

Le sentiment que j’ai est que l’Union européenne, en particulier des pays comme l’Allemagne voire la France, nous ont dépecé et maintenant ils sont prêts à nous ronger les os.

Particulièrement, si on considère le niveau élevé de destruction de notre agriculture, de notre pêche, de notre industrie, notamment de l’industrie lourde, qui a permis que notre production nationale soit remplacée par des importations. Et cela s’est produit au bénéfice de l’Allemagne, fondamentalement.

Ainsi, la question de la sortie ou non de l’euro et de l’Union européenne même ne doit pas être un acte soudain, mais notre pays doit également ici se placer dans la position du créancier, car – même en n’occultant pas la responsabilité des gouvernements de droite successifs – la monnaie unique fut un désastre pour notre pays. L’approfondissement du débat dans la phase préparatoire au Congrès devra certainement prendre en compte ces deux questions.

Une chaîne de grandes surfaces, pour vendre ses produits, en est revenu à faire la comparaison avec les prix en escudos, car tout le monde estime que le passage à l’euro a conduit à une augmentation brutale des prix. Tu penses qu’il existe une sensibilité à un retour à l’escudo, ou au pouvoir d’achat de l’escudo ?

Il est évident qu’avec l’intégration à l’euro, le Portugal a perdu sa flexibilité monétaire et, dans de nombreux cas, il est pieds et poings liés. Dans un cadre de développement inégal, notamment en comparaison avec les pays de grande capacité productive, les pertes induites par cette intégration sont importantes. Lissées par les aides communautaires qui nous sont parvenues. Par pour tout le monde, seulement pour une poignée.

Cela nous a conduit à une conception terrible : que le Portugal n’avait pas besoin de produire, pas besoin d’agriculture, de pêche ou d’industrie car il se trouvait dans l’Union européenne. Je me rappelle de Cavaco Silva, alors premier-ministre, disant que le pays n’avait pas besoin de produire car ici, à côté en Espagne, tout était produit.

Voilà d’où vient ce sentiment qui monte souvent, même chez des personnes qui ne maîtrisent pas les politiques monétaires et de change, mais qui voient la réalité et perçoivent que l’intégration dans l’euro fut une corde à laquelle on a voulu nous attacher.

En cela, la question de la sortie de l’euro (ou de l’expulsion, comme la question est posée désormais) ne peut être un acte d’acceptation passive. Notre pays doit s’assurer que tant dans une éventuelle sortie que dans son maintien, on fasse le bilan de ce que le Portugal, comme pays, a subi comme diktats associés à l’adhésion à l’euro.

Puisque nous parlons de renforcement du fédéralisme et du directoire des grandes puissances, cela vaut la peine de rappeler que nous avons deux pays de l’Union européenne, l’Italie et la Grèce, avec des gouvernements qui ne sont pas issus des élections et on sait depuis un certain temps que la chancelière allemande a appelé le président italien pour pousser Berlusconi à la démission...

Cela démontre bien que pour le capital, les élections et leurs résultats ne sont bons que lorsqu’ils servent ses objectifs. Et cela pose des questions de démocratie, même au sein d’une démocratie bourgeoise. Ce que nous sommes en train de voir, c’est que le capital, quand ses partis politiques ne le servent pas bien, cherchent des solutions anti-démocratiques, ou tout du moins non issues de la volonté des peuples.

La principale leçon que nous pouvons en tirer, c’est que le capital, pour atteindre ses objectifs, n’a que faire des moyens et ne voit les élections que comme un instrument dans ses intérêts. Autrement dit, il s’en sert et quand elle ne sert plus, il impose d’autres solutions, comme celles imposées en Grèce et en Italie.

Le Parti en a appelé à la lutte populaire contre le pacte d’agression et à travailler au développement d’un « vaste mouvement populaire qui fasse converger toutes les couches anti-monopolistes, tous les démocrates et les patriotes » vers cet objectif. C’est cette perspective que le PCP propose aux travailleurs et au peuple ?

Une première réflexion : il est naturel qu’il y ait certaines personnes qui, en partant de la réalité et des complexités de la situation actuelle, aient tendance à sous-estimer les potentialités et à sur-estimer les difficultés, en restant bloqués dans l’idée qu’il n’y a pas d’alternative ou en étant tentés par la fuite en avant.

Nous considérons que ce sera la lutte des travailleurs, en convergence avec les masses populaires et avec d’autres couches anti-monopolistes, qui créeront les conditions de la rupture avec ces politiques de droite et que de cette rupture sortira une politique alternative, patriotique et de gauche et une alternative politique capable de la matérialiser.

Notre proposition ne porte pas de date d’application, elle n’est pas non plus un cadre plaqué sur la réalité, dans la mesure où nous nous trouvons devant un processus socio-politique vivant, dans lequel la conscience, la créativité et la combativité des masses sera toujours le facteur décisif et déterminant.

Pour un communiste, le plus important actuellement est de lutter pour triompher du violent pacte d’agression, en ayant toujours en tête qu’une telle lutte est inséparable de l’exigence d’une politique patriotique et de gauche et de la réalisation du programme du PCP d’une démocratie avancée et de notre projet de construction du socialisme au Portugal.

Quand on lance un appel aux « démocrates » et aux « patriotes », cela signifie un appel à l’unité avec le PS ?

Concernant les forces qui peuvent la composer et créer les conditions de cette alternative politique, nous défendons le développement des luttes sociales, la convergence de vastes couches sociales, avec les travailleurs comme moteur de cette lutte.

Quant aux forces politiques, que pouvons-nous dire ? Qu’aujourd’hui le PS est profondément compromis avec les politiques de droite et le pacte d’agression. Mais cela suppose-t-il que de nombreux démocrates et patriotes, électeurs du PS, doivent être laissés à l’écart de ces luttes, si on prend en compte qu’il subissent dans leur chair cette offensive ? Nous considérons que non.

Mais pour ce qui est de la direction du PS, elle est compromise, par choix, dans ce pacte d’agression, comme elle était compromise dans le budget d’État d’où émanent ces mesures, elle ne va pas dans le sens de cette rupture et de changement, de cette politique patriotique et de gauche que nous proposons.

Concentrons-nous désormais sur la « politique patriotique et de gauche » que défend le PCP. Quel est son contenu ?

Le premier contenu, comme je l’ai déjà dit – et j’insiste – c’est que sans rupture, il n’y a pas de changement politique telle que nous le portons. La première question est, donc, notre lutte pour la rupture avec le cap du désastre.

Quant aux objectifs de cette politique patriotique et de gauche, il est fondamental avant tout que notre pays retrouve le chemin de la croissance et du développement, par la mise en avant de notre appareil productif et de notre production nationale, par la mise en valeur de nos richesses nationales à tous les niveaux.

En fait, contrairement à ce que beaucoup affirment, le Portugal n’est pas un pays pauvre. Il a de grandes potentialités et des ressources immenses qui peuvent être orientées vers la satisfaction des besoins du peuple et du pays.

Et il faut ensuite une politique qui mise sur l’augmentation des salaires, des retraites et la défense des droits des travailleurs, qui intègre les services publics dans le bien-être des populaires, qui aille dans le sens d’une reprise en main par l’État des entreprises de base et stratégiques, qui affirme clairement un Portugal indépendant et souverain, désireux de coopérer avec tous les peuples et les pays du monde.

Voilà ce qui sous-tend notre proposition de politique patriotique et de gauche.

Comment cette proposition s’insère-t-elle dans les objectifs plus généraux du Parti, d’une démocratie avancée et du socialisme ?

Les communistes portugais ont toujours lié leurs objectifs immédiats à leurs objectifs programmatiques et, en définissant avec rigueur à chaque moment historique l’étape de la révolution, sans jamais séparer de façon schématique et dogmatique les objectifs de chacune des étapes avec ceux des suivantes.

Dans nos statuts, je cite que « la lutte pour la défense des acquis de la Révolution d’Avril, pour la mise en œuvre de ses valeurs et pour la démocratie avancée, est partie intégrante de la lutte pour le socialisme. »

Autrement dit, la lutte que nous menons aujourd’hui contre le pacte d’agression, pour une politique patriotique et de gauche, pour un Portugal qui a un avenir, s’insère dans un processus et dans les étapes à parcourir pour atteindre notre objectif commun de construction du socialisme au Portugal.

Est-il possible, en régime capitaliste, d’avoir un gouvernement qui ne soit pas le serviteur, en fait, des intérêts du capitalisme ?

Nous ne devons pas laisser entendre qu’un processus de transformation, un processus révolutionnaire ne peut être un succès que dans le cadre de la construction du socialisme. Sans perdre de vue cet objectif, la question des étapes est posée. Nous n’érigeons aucune « Muraille de Chine » par rapport à la révolution socialiste, mais nous considérons que le plus difficile est de construire et de suivre cette voie, et le plus facile c’est de décider que le livre que l’on écrit ensemble trouvera dans le socialisme son dernier paragraphe.

Pour y parvenir, nous devons avoir cette perspective de construction du socialisme, très complexe et très difficile.

On a déjà eu l’expérience de gouvernements dits de gauche, certains auxquels ont participé des partis communistes, avec des résultats désastreux...

Oui, car évidemment ces gouvernements, trahissant leurs promesses et leurs principes, ont totalement capitulé face au capitalisme. Le comportement des partis socialistes et social-démocrates, particulièrement en Europe, où tous ont capitulé, suppose de dresser un bilan historique et politique.

Ils ont entraîné dans ce mouvement certains partis communistes qui n’ont pas réussi à se libérer de cette voie de la conciliation et de la collaboration avec les objectifs du capitalisme.

Le renforcement de l’organisation et de l’action militante du Parti est toujours mis en avant, en parallèle à l’intensification de la lutte de masses, comme condition nécessaire à la promotion des profondes transformations qui s’imposent. Pourquoi est-il si important, dans la période actuelle, d’avoir un Parti communiste fort, combatif et influent ?

Nous pourrions dire que tout au long de cette histoire de 90 années de notre Parti, il fut toujours indispensable aux travailleurs et au peuple portugais. Mais aujourd’hui, si on tient compte de l’offensive, du positionnement et de la nature des partis de droite et de l’implication du PS dans cette offensive, les travailleurs et le peuple portugais ont besoin plus que jamais d’un parti communiste, de ce Parti, plus fort et influent.

Nous pouvons dire que, tout au long de plus de 30 années d’offensive de droite, les travailleurs savent bien tout ce qu’ils ont perdu. Mais, fort heureusement, ils ne sauront jamais ce qu’il n’ont pas perdu grâce aux luttes de ce Parti.

Le PCP étant une force irremplaçable dans le combat et en tant que force de proposition, nous estimons que ce renforcement est une chose très importante. Pas tellement dans l’idée d’avoir un député ou une mairie de plus, mais plutôt d’avoir un Parti à la hauteur des défis qui se posent à lui.

Source : entretien réalisé par Anabela Fino et Gustavo Carneiro pour Avante, quotidien du PC Portugais