ASSEMBLEE NATIONALE – PREMIERE SEANCE DU 31 MARS 1955 ETAT D’URGENCE –
Suite de l’examen d’un projet de loi. Intervention de Robert Ballanger pour le groupe communiste.
Monsieur le président. La parole est à monsieur Ballanger. (Applaudissements à l’extrême gauche) le groupe communiste à déjà presque épuisé son temps de parole. Je demande donc à monsieur Ballanger s’il a le souci de permettre aux orateurs de son groupe de défendre leurs amendements, de répondre à la brièveté que je lui adresse.
M. Robert Ballanger. Mesdames, messieurs, la presse bourgeoise, la radio, font le silence sur la teneur et les conséquences de la loi d’exception mise en discussion.
Malgré cela, le texte de cette loi, les motifs qui animent la volonté gouvernementale de la faire voter, commencent à être connus et, dans la mesure où ils sont connus, la protestation indignée monte aussitôt.
Syndicats ouvriers, Ligue des droits de l’homme, élèves de l’école normale supérieure, avocats…
M. Jean Chamant. Les avocats ? Lesquels ?
M. Robert Ballanger. … professeurs de toutes opinions, élèvent leur protestation et disent leur surprise, leur colère de voir ainsi rayées d’un trait de plume, par cette nouvelle loi scélérate, les libertés les plus fondamentales.
Ils proclament aussi leur volonté de s’y opposer et d’empêcher que notre pays fasse un pas de plus dans la dictature, dans la voie du fascisme.
D’ailleurs tout ce que fait la majorité des gouvernements qui se succèdent depuis quelques années n’à qu’un très lointain rapport avec la démocratie.
Le parti de la classe ouvrière recueille-t-il à votre gré trop de voix ? Vous imaginez une loi électorale qui permette à ceux qui ont le moins de voix d’être élus et empêche ceux qui en ont le plus de l’être.
L’opposition parlementaire, poussée par le mouvement populaire devient-elle trop forte ? Vous modifiez la Constitution.
Certains imaginent même un système dans lequel le Parlement devrait s’incliner devant le Gouvernement.
Là aussi on peut vous appliquer la formule célèbre d’Odilon Barrot : votre propre légalité vous étouffe.
En d’autres temps, les protestations légitimes des défenseurs des libertés républicaines auraient trouvé un large écho dans le Parlement. On aurait vu se dresser à leur ban des députés d’opinions différentes, mais soucieux de leur liberté. Il semble que, pour un certain nombre de collègues, cette notion des libertés publiques se soit considérablement dégradée.
Nombreux pourtant sont ceux qui, ces temps derniers, émus par plusieurs procès, ont dénoncé certaines méthodes policières. Leurs protestations – on le voit aujourd’hui – n’étaient pas sincères. Elles cessent dès qu’elles risquent de devenir efficaces ; car enfin, si, malgré les garanties de la Constitution actuelle, des abus de pouvoir, des actes arbitraires de détentions abusives peuvent être dénoncés, quelle sera la situation quand l’arbitraire sera devenu la loi ? (Applaudissements à l’extrême gauche.)
Les exemples abondent hélas ! De violations de la liberté d’opinion, de la liberté d’information, de la liberté de conscience.
Un démocrate peut-il rester insensible au fait qu’ait pu être arrêté et maintenu en prison pendant un mois un parlementaire couvert par l’immunité sous l’accusation d’un ridicule complot. (interruptions à droite.)
M. Fernand Bouxom. Béria !
M. Roger de Saivre. Avez-vous des nouvelles de Malenkov ?
M. Robert Ballanger. Monsieur de Saivre, vous qui avez été le directeur de cabinet du traitre Pétain, je comprends que vous soyez du côté du fascisme. (Applaudissements à l’extrême gauche.)
M. Georges Caillemin. Malenkov est un fasciste ?
M. Robert Ballanger. Des journalistes, des militants syndicaux ont été injustement détenus pendant des mois sous le seul prétexte qu’ils n’étaient pas d’accord avec le Gouvernement sur sa politique.
Hier c’était des communistes, des syndicalistes ; aujourd’hui, ce sont des journalistes d’opinions diverses qui sont poursuivis, voire détenus, incarcérés pour des articles écrits il y a deux ans. Où est la liberté dans tout cela ?
M. le ministre de l’intérieur. Elle est à la tribune ! (Rires.)
Robert Ballanger. C’est cet arbitraire que vous voulez accroître en donnant au Gouvernement les bases légales pour supprimer toutes les libertés. Ce nouveau coup contre la démocratie est si dur, le texte d’exception si monstrueux, que le Gouvernement a tenté de le faire voter à la sauvette. Si les défenseurs de la liberté avaient laissé faire, en quelques heures, dans l’ombre, le Gouvernement et sa majorité auraient fait voter la loi étranglant les libertés.
Aujourd’hui encore vous avez limité à l’extrême le débat. Quarante-neuf minutes sont imparties au groupe communiste pour dénoncer le caractère fasciste du projet et pour défendre ses amendements. Cette hâte cache mal la volonté d’escamoter le débat, de préparer un alibi à ceux qui, plus tard, diront : « nous n’avons pas vu cela, nous ne savions pas ».
Personne ne peut être dupe : il s’agit d’un texte suspendant purement et simplement toutes les libertés démocratiques, toutes les libertés constitutionnelles. C’est une législation qui s’apparente, en pire dans certains cas, aux lois d’exception de Vichy.
Chacun doit prendre ses responsabilités en connaissance de cause.
L’exposé des motifs ne fait qu’indiquer en quatre lignes qu’il s’agit de créer une législation s’appliquant à la France entière, aux départements français d’outre-mer et à l’Algérie, tout le reste est consacré à l’Algérie et à la situation qu’on y connaît actuellement.
Le Gouvernement essaie de faire croire qu’il s’agit uniquement d’une loi de circonstance. Or cela n’est pas vrai ; il s’agit de créer une législation d’exception permanente pour l’ensemble du pays. Le Gouvernement veut disposer d’une arme efficace contre le peuple français. Il y a certainement corrélation entre ce texte et les dernières décisions de l’état major de l’O.T.A.N. (Interruptions à droite.)
Ce projet de loi n’est de circonstance qu’en fonction du moment choisi pour le déposer et de la volonté du Gouvernement de donner tout de suite carte blanche aux forces de répression en Algérie. Aux aspirations nationales et politiques du peuple algérien, le Gouvernement a répondu par la répression la plus violente, la plus brutale, la plus aveugle ; tout cela dans des conditions d’illégalité que personne ne songe à nier. Cette répression vous semble insuffisante. Vous voulez accentuer la terreur, vous voulez donner un fondement légal aux pires exactions. Vous vous trompez si vous pensez régler ainsi les problèmes qui se posent en Algérie.
Vous n’avez rien résolu, bien au contraire, depuis novembre dernier.
La seule solution conforme à l’intérêt de la France et de l’Algérie, c’est d’arrêter la répression, de reconnaître le bien-fondé des aspirations du peuple algérien, de cesser de nier la réalité des problèmes politiques posés dans ce pays.
Il faut aussi souligner que cette loi d’exception n’est pas seulement de l’inspiration du gouvernement actuel. Je ne veux pas régler la querelle qui semble s’élever entre la majorité d’hier et la majorité d’aujourd’hui, mais je veux cependant qu’on me donne acte qu’à la réunion commune de la commission de la justice et de la commission de l’intérieur, M. Bourgès-Maunoury avait déclaré qu’il avait trouvé ce texte dans le testament de l’ancien Gouvernement ; ce qui souligne la continuité politique du gouvernement Mendès-France et du gouvernement Edgar Faure et des ministres de l’intérieur M. Mitterrand et M. Bourgès-Maunoury. Ce fait pourrait contribuer, s’il en était besoin, à lever certaines illusions trop soigneusement entretenues. (Applaudissements à l’extrême gauche.)
Cette loi d’exception, pouvant servir dans l’immédiat pour, ou plutôt contre l’Algérie et les Algériens, est destinée aussi et surtout à lutter contre la France et les Français.
L’exposé des motifs peut aussi bien hypocritement expliquer que le texte peut servir en cas d’inondation ou d’incendie de forêt. L’argument est vraiment puéril. En quoi les perquisitions de jour et de nuit, le dessaisissement des tribunaux civils au profit des tribunaux militaires, les mesures de déportation peuvent-ils avoir un rapport quelconque avec les catastrophes naturelles dont vous parlez dans l’exposé des motifs de votre projet de loi ?
Non, monsieur le ministre, il s’agit purement et simplement de dispositions tendant à suspendre les droits constitutionnels, pour permettre au Gouvernement de briser par la force et la répression policière les aspirations profondes des masses populaires.
Aujourd’hui, ces dispositions sont destinées à vous permettre de sévir contre les démocrates et les patriotes algériens. Demain, vous vous en servirez contre la population française. Avec un tel texte, vous pourrez, demain, déclarer l’état d’urgence dans un département où les commerçants, les artisans manifesteraient leur mécontentement devant l’oppression fiscale, où les ouvriers feraient grève pour l’augmentation de leurs salaires, où les paysans lutteraient pour l’amélioration de leurs conditions d’existence. C’est une arme de lutte contre le peuple que vous demandez à l’Assemblée nationale de voter.
M. le ministre de l’intérieur.Monsieur Ballanger, voulez-vous me permettre de vous interrompre ?
M. Robert Ballanger. Je vous en prie.
M. le ministre de l’intérieur. Savez-vous quel est le service qui s’est occupé pour la première fois de la question que l’on appelle maintenant l’état d’urgence ? C’est le service de la protection civile, à la suite des pillages qui ont eu lieu à Orléansville après les secousses sismiques.
Savez-vous aussi quel est l’organisme qui, l’un des premier, s’est occupé de cette question ? C’est l’institut des hautes études de la défense nationale.
Par conséquent, ce texte instituant l’état d’urgence, avec toutes ses définitions – bien que je vous concède que l’article 12 est d’application exceptionnelle, article que nous avons maintenu, d’ailleurs, dans la deuxième loi – est nécessaire, hélas ! dans tous ses articles, pour parer aux troubles que subissent les Etats modernes, soit du fait de calamités d’ordre naturel, soit du fait d’autres calamités auxquelles je voudrais que vous soyez totalement étrangers.
M. Pierre Fayet. C’est une calomnie de prétendre qu’il y a eu des pillages à Orléansville ! Il n’y en a eu aucun !
M. Robert Ballanger. Monsieur le ministre, si vous aviez raison, vous auriez demandé le vote immédiat de cette loi…
M. le ministre de l’intérieur. C’est ce que je fais.
M. Robert Ballanger. … au moment des inondations, ou au moment du sinistre d’Orléansville.
Or, à ce moment vous n’avez rien demandé de semblable, mais vous le demandez précisément quand il s’agit de sévir contre le peuple algérien, contre les patriotes algériens. (Applaudissements à l’extrême gauche.)
M. le ministre de l’intérieur. Ce texte a été étudié par mon prédécesseur et je l’en félicite d’ailleurs. Il n’y a nulle querelle à ce sujet.
Si l’on avait proposé de telles mesures dans les circonstances auxquelles vous faites allusion vous auriez reproché au ministre – comme un grand nombre d’autres orateurs, sans doute – d’avoir agi trop hâtivement.
M. Robert Ballanger. Monsieur le ministre, rien, pas même les arguments que vous invoquez, ne peut aller contre cette vérité d’évidence : vous demandez à l’Assemblée nationale de voter ce texte, non pas à l’occasion de je ne sais quelle catastrophe naturelle, mais pour exercer des sévices contre les populations algériennes. (Applaudissements à l’extrême gauche.)
Cela vous ne pouvez pas le nier.
Vous pensez certainement aussi, monsieur le ministre, à l’opposition de plus en plus vive du peuple de France à la politique internationale du Gouvernement, à la volonté irréductible des patriotes français de s’opposer au réarmement de l’Allemagne, et vous comptez sur les pouvoirs de répression que vous accordera ce texte, pour faire, le cas échéant, violence aux sentiments les plus profonds de notre peuple.
Mais, mesdames, messieurs, ces textes du Gouvernement se heurtent à un obstacle : la Constitution. Il ne peut les faire voter qu’en la violant délibérément. La Constitution de 1946, en même temps qu’elle définit le fonctionnement de nos institutions, garantit aux Français un certains nombre de libertés qu’aucune loi, fût-ce une loi d’exception, ne peut enlever.
Son préambule « réaffirme solennellement les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».
Aucune loi ordinaire ne peut légitimement enlever ces droits aux citoyens français.
Ce sont des droits inaliénables et sacrés. La Constitution prévoit, dans son article 7, un cas et un cas seulement où des mesures restrictives peuvent être prises. Ce cas, c’est l’état de siège.
Il ne peut y avoir que deux termes : la situation normale, avec la pleine application des libertés constitutionnelles, ou bien l’état de siège. Il n’y a pas de place entre les deux pour l’état d’urgence, qui est l’état de siège qui ne veut pas dire son nom.
Pourquoi le Gouvernement semble-t-il reculer devant les mots et tente-t-il de créer ce qu’il appelle improprement un état intermédiaire entre la situation normale et l’état de siège ?
Il le fait, à notre sens, pour deux raisons : d’abord parce que l’état de siège n’est applicable qu’en cas de guerre ou de péril imminent pour la nation – ce qui n’est pas le cas, l’exposé des motifs gouvernemental l’indique explicitement – ensuite parce que les dispositions prévues pour l’état de siège sont, aux yeux du Gouvernement, insuffisantes.
La part laissée dans ce projet de loi à l’arbitraire policier est plus large que dans la loi de 1849 ou celle de 1878 sur l’état de siège. Il s’agit pour le Gouvernement de forger un instrument de lutte contre le mouvement politique et revendicatif des masses populaires de notre pays. Nous sommes donc, incontestablement, en présence d’un texte anticonstitutionnel.
Depuis le vote de la loi du 9 août 1849, l’état de siège à été proclamé à plusieurs reprises en France. Il l’a été en chaque guerre, en 1870, 1914 et en 1939.
En dehors des cas de guerre, l’état de siège n’a été proclamé dans notre pays qu’entre 1849 et 1852. En particulier, cette mesure fut prise après le coup d’Etat du 2 décembre par Louis-Napoléon dans une quinzaine de départements français. Elle fut prise également en 1871, le 20 mars, par Thiers, contre la glorieuse Commune de Paris.
Voilà les précédents, monsieur le ministre : la guerre, les coups d’Etat, la répression sanglante contre le peuple, contre la classe ouvrière !
Nous ne sommes pas en guerre, monsieur le ministre, vous ne pouvez évoquer comme prédécesseurs que « Napoléon le petit » ou Thiers. Peut-être ces cautions vous agréent-elles ; elles indigneront certainement les républicains et les démocrates de notre pays.
Ainsi le texte que vous proposez est contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution. Les droits reconnus par cette dernière ne peuvent être suspendus que par la proclamation de l’état de siège.
L’état de siège, en République, ne peut se justifier qu’en cas de guerre. Cette raison ne pouvant être invoquée, l’état d’urgence n’étant pas prévu par la Constitution, toute mesure tendant à introduire cette notion dans le droit constitutionnel français serait illégale et inconstitutionnelle.
Un tel manquement à la Constitution serait un terrible précédent.
Qui vous empêcherait alors de proposer demain l’institution entre l’état de siège et les droits reconnus par la Constitution, toute une série de régimes intermédiaires qui suspendraient tout ou partie des libertés démocratiques ?
Si l’on s’engageait dans cette voie, un précédent très dangereux serait créé. Vous avez essayé de soutenir qu’il y avait des différences importantes…
M. le président. Monsieur Ballanger, vous m’aviez demandé cinq minutes de temps de parole supplémentaires. Ces cinq minutes me paraissent largement dépassées.
M. Robert Ballanger. Monsieur le président, je fais appel à votre libéralité habituelle.
M. le président. Je vous demande de conclure, à moins que le Gouvernement ne concède à vous céder une partie de son temps de parole… (Sourires.)
M. le ministre de l’intérieur. Non, monsieur le président ! Sans cela nous ne pourrons examiner le débat cette nuit. Il reste à examiner tous les amendements.
M. Robert Ballanger. J’observe, monsieur le président, que le débat étant organisé sur dix heures, la commission et le Gouvernement se sont attribué à eux seuls quatre heures de temps de parole. Cette répartition est inhabituelle. Elle est contraire à tous les usages et ne se justifie pas. Je demande à bénéficier de votre tolérance.
M. le président. C’est la conférence des présidents qui a fixé le temps de parole. Jusqu’à présent, la commission et le Gouvernement n’ont pas dépassé celui qui leur a été imparti.
M. Robert Ballanger. Monsieur le président, je vous demande en tous cas, de me laisser terminer, je n’en ai plus que pour quelques minutes.
M. Antoine Sérafini. Il y a soixante-dix amendements !
M. Robert Ballanger. Nous avons déposé de nombreux amendements, c’est vrai, mais cela prouve que nous faisons notre travail consciencieusement.
Je voudrais que vous étudiiez les textes avec le même sérieux que nous le faisons nous-mêmes, ce qui ne vous arrive probablement pas souvent.
M. Edmond Bricout. Un peu de modestie, monsieur Ballanger.
M. Antoine Sérafini. Cette remarque, monsieur Ballanger, ne vaut même pas une réponse !
M. Robert Ballanger. Si je suis interrompu continuellement, je ne pourrai pas terminer dans la limite de temps que m’a fixé monsieur le président.
M. le président. Il est entendu que, pendant votre brève conclusion, vous ne serez pas interrompu. (Sourires.)
M. Robert Ballanger. Le Gouvernement a essayé de montrer qu’il y avait une différence entre l’état d’urgence et l’état de siège.
La première différence est qu’avec la loi de 1849, les pouvoirs dont l’autorité civile était revêtue pour le maintien de l’ordre et de la police pouvaient passer tout entiers à l’autorité militaire ; mais l’autorité civile continuant à exercer ceux des pouvoirs dont l’autorité militaire ne l’avait pas dessaisie, le Gouvernement restait le seul maître du partage entre ce qui était donné à l’autorité militaire et à l’autorité civile.
Dans le projet actuel, l’autorité civile conserve ses pouvoirs, sauf en matière de tribunaux, les tribunaux civils étant dessaisis au profit des tribunaux militaires et, je le souligne, pour tous les crimes et délits, ce qui, évidemment, est déjà très grave.
La loi de 1849 et celle de 1878, déjà antidémocratiques, permettaient de « faire des perquisitions de jour et de nuit », d’ »éloigner les repris de justice et les individus qui n’ont pas leur domicile dans les lieux soumis à l’état de siège », d’ « ordonner la remise des armes et des munitions », de « procéder à leur recherche et enlèvement », d’ « interdire les publications et les réunions ».
Voilà l’essentiel de ces lois.
Dans le projet de loi sur l’état d’urgence que vous proposez, on retrouve toutes ces dispositions, sans aucune espèce de différence, mais d’autres s’y ajoutent.
L’article 6 dispose qu’un arrêté préfectoral peut interdire la circulation, interdire l’accès dans certaines zones de protection. On prétend interdire aussi le séjour, non pas aux repris de justice, mais à n’importe quel citoyen qui cherchera à entraver de quelque manière que ce soit l’action des pouvoirs publics.
L’article 7 permet de procéder à l’assignation à résidence dans une circonscription territoriale ou une localité déterminée. On crée donc, qu’on le veuille ou non – il ne faut pas avoir peur des mots – des camps de déportation.
En Algérie, dans le désert, il n’y a pas besoin de barbelés. Ce sera le cas – si vous déportez, comme vous en avez probablement l’intention, plusieurs centaines ou milliers de personnes – à Béni-Abbès ou à Timimoun ou autres lieux. Vous aurez là, c’est bien clair, de véritables camps de concentration sans barbelés.
Peut-être avez-vous aussi l’intention de rouvrir en France les camps de Châteaubriant, de Voves et de Compiègne. Ils retrouveraient ainsi leur ancienne destination.
L’article 13 prévoit que sont suspendus tous les recours en cassation contre les décisions des juridictions d’exception et qu’ils ne peuvent être exercés éventuellement qu’après la proclamation définitive du jugement.
Ainsi, arrêté arbitrairement, torturé par les policiers, l’accusé ne pourra arguer d’irrégularité que lorsque la condamnation définitive aura été prononcée.
Nous aurons l’occasion, lors de la discussion des articles, de montrer la signification profonde du texte gouvernemental et du rapport de la commission qui n’a apporté que très peu de modifications au projet.
Les quelques observations que j’ai présentées, au nom du groupe communiste, suffisent à expliquer pourquoi nous combattrons ce projet pied à pied. Le texte est anticonstitutionnel. Il aggrave considérablement les lois sur l’état de siège. Il permet l’application d’une loi d’exception, réservée jusqu’alors, sauf coup d’Etat ou cas de guerre, aux insurrections à main armée.
Votre loi peut en fait se résumer de la façon suivante : il n’y a plus de Constitution, plus de droits démocratiques. Quand le Gouvernement le décide, le préfet, le gendarme et le juge font ce qu’ils veulent, quand ils veulent, comme ils veulent, tout cela bien entendu au nom des droits sacrés de la personne humaine, n’est-il pas vrai ?
Voter ce texte, ce serait barrer d’un trait de plume les libertés démocratiques si chèrement acquises par notre peuple.
(Applaudissements à l’extrême gauche.)
M. Jean Laborde. C’est insensé d’entendre des choses pareilles !
M. Robert Ballanger. Vous n’avez pas le droit de voter ce projet : vous avez le devoir de vous y opposer.
Pour notre part, nous n’y faillirons pas et, de toutes nos forces avec le peuple, nous lutterons contre vos projets scélérats. (Applaudissements à l’extrême gauche. – Interruptions à droite.)